Au coucher du soleil, la lumiere chiche et faiblarde de l'astre faiblissant découpait en un contre-jour sordide les décombres de la ville bombardée, les poutrelles métalliques dressées vers le ciel, plantées dans des monceaux de gravats faisaient écho aux flèches de la cathédrale, abattue comme un chateau de cartes quelques heures auparavant. Malgré le bombardement, et l'incendie qui a suivi, ravageant les batiments épargnés pas les bombes, il faisait un froid glacial, contre lequel toute protection était inutile. Le ciel se dégradait, d'un blanc laiteux, jusqu'a un noir de jais, dépourvu d'étoiles, vers l'Est. Un silence de mort planait sur ce spectacle de désolation, juste entrecoupé, de temps a autres, par une batisse qui finissait de s'écrouler.
C'était a ce moment intemporel, losque le soleil met de longues minutes avant de disparaitre derriere l'horizon, que passa le II° régiment monté du I° bataillon de cavalerie nazie, dans l'espoir de trouver des survivants, afin de leur oter tout ce qui leur reste.
Ayant entendu la cavalcade, Matthieu se jeta a terre et abandonna l'idée de trouver de l'eau pour en emplir sa gourde. Il rampa, le plus silencieusement possible jusqu'a un tas de gravats, sortant son revolver de sa botte. Il baissa son casque sur ses yeux, pour ne révéler que la partie de son visage nécessaire pour se livrer à l'observation de ces cavaliers de la mort.
Les cavaliers avaient réduit leur vitesse, scrutant méticuleusement le moindre éboulis, l'oeil a l'aguet du moindre mouvement. Ils s'éparpillèrent, afin de couvrir un plus grand champ de recherche, et continuerent leur progression dans les décombres, dans le silence le plus total.
Soudain, une détonation retentit, suivie d'un henissement affolé. Quelques secondes apres, la poussiere retomba, l'officier avanca de quelques metres en direction de l'explosion. "Achtüng ! Minen !" annonca-t-il clairement. "Änderung der ziel. Von dort." ajouta-t-il en tendant son sabre dans la direction de Matthieu.
Ce dernier, pris de panique, remit hativement son revolver dans sa botte, et se laissa glisser au bas du tas de gravats sur lequel il était posté. Il fit tout son possible pour rester discret, et finit par rejoindre ses camarades, dissimulés derriere deux murs de briques perpendiculaires, miraculeusement restés debout. Il demanda a voix basse "Comment va Eric ?". Georges lui répondit "Impensable de le bouger, il pisse le sang par tous les trous... Tu as trouvé de l'eau ?" finit-il par demander. "Non, lui rétorqua Matthieu, mais les boches vont pas tarder à nous tomber dessus si on décampe pas d'ici, et fissa ". Apres une bordée de jurons bien sentie, Georges consentit à se charger du corps inanimé d'Eric, avec l'aide de Matthieu.
Au bout de quelques centaines de metres, le corps d'Eric commenca a se faire pesant, et il était poisseux du sang qui imbibait sa veste de treillis. C'était un sentiment tres désagréable, que d'etre collé aux corps d'un frere d'armes, a qui l'ont doit la vie, sachant que la sienne est en train de couler dans ses bottes pour détremper ses chausettes, et qu'on ne puisse rien y faire.
Les cavaliers Allemands avancaient, pas par pas, metre par metre, sondant la terre pour éviter de perdre a nouveau des effectifs inutilement. Soudain, le lieutenant Otto von Lipwig s'écria "Der überlebenden !", et accompagna son cri d'une bordée de 9mm Parabellum, crachée de la gueule de son Maüser.
Branle-bas de combat, l'efficacité de la Wehrmacht faisant ses preuves, une dizaine de cavaliers furent lancés a la poursuite du petit groupe de survivants.
Les balles leur sifflant aux oreilles, les trois français tenterent d'accélerer la cadence de marche, mais le terrain ne s'y prètait pas, et la panique rendait tous leurs gestes gauches et maladroits. Plusieurs fois, ils trébuchèrent, quelque fois tombèrent, évitant chanceusement les balles qui fusaient en leur direction. Un bruit sourd frappa, et le trio eut un sursaut. Georges s'était pris une balle dans l'abdomen, et l'avait traversé de part en part au niveau de l'estomac. Le sang commença a rougir son treillis,et la sueur a perler a grosses gouttes sur son front. "Ca va aller." souffla-t-il entre ses dents serrées par la douleur, en réponse au regard affolé de Mathieu.
Soudain, le groupe s'étala de tout son long, comme un seul homme. Sur les nerfs, Matthieu se remit debout en une fraction de seconde. Georges, lui, émit un rale, en serrant les dents et en se serrant le coté du ventre. Il profitat de cet instant pour vider son fusil et sa haine sur les cavaliers teutoniques qui les suivaient. Il dit "Donne-moi tes grenades, je vais les retenir, emmène le gosse !". Devant l'hésitation de Matthieu, il se traina jusqu'a lui pour arracher les grenades de sa veste, et ajouta "Il a dix-neuf ans, et toi pas beaucoup plus ! Vous avez la vie devant vous, tirez-vous !"
Matthieu obéit, sa logique laissant place aux reflexes et a l'instinct de survie. Il souleva le corps d'Eric et le tira. Ca coincait, et il tira de plus belle. Son pied était coincé dans une crevasse. Matthieu tira d'un coup sec, et dans un craquement sinistre, on put ajouter une fracture du pied a la liste -déja longue- des blessures du jeune homme. Sans se retourner, trainant tant bien que mal son camarade, il avancait tant bien que mal parmis les débris de batiments.
Quelques instants apres, il entendit des détonation, des hurlements et des henissements, puis le bruit de chair déchirée retombant lourdement au sol. Le silence. "Georges, paix a ton âme. Puissent le Seigneur et ses anges avoir pitié de toi...et de nous maintenant." ajouta Matthieu à sa courte louange, entendant d'autres cavaliers a la charge.
Otto trouvait tout cela follement amusant, comme une chasse a la courre. Le fait qu'un d'entre eux se soit sacrifié pour éliminer quelques cavaliers le mit dans un état euphorique. "Dem säbel, dem säbel !" braillait-il avec force de postillons. Dans un rictus nerveux, il fonca sur Matthieu, et manqua de briser son sabre sur le casque de ce dernier, la force du coup arrachant le casque, et envoyant son possesseur au sol.
Dans un roulé boulé, Matthieu se stabilisa a genoux, et sortit le revolver de sa botte. la chute lui avait éclaté l'arcade sourcillière, et le sang l'aveuglait a moitié. Il aligna l'officier hilare dans sa ligne de mire, et envoya une volée de balles. Dans un spasme, son cheval s'écroula sans meme avoir le temps de s'en plaindre. L'officier était désormais grotesque, coincé sous son cheval mort, en train de jurer, l'hilarité laissant place a la fureur. Il laissa le temps a Matthieu de se retourner pour voir arriver un autre cavalier, qui piétina Eric au passage, dans un concert de craquements morbides.
Otto entrait dans une rage sanguinaire, il commença alors a taillader la carcasse de son cheval qui le clouait au sol. Il arrachait cuir et chairs, dans de grandes arabesques de sang soulevées par son sabre. "Kommen sie mir helfen !" hurla-t-il à l'attention du cavalier qui approchait. Quelques instants après, Otto était sur pieds. Il avait ramassé son Lüger, et son sabre gouttait de sang sur son chemin.
Matthieu se jeta vers Eric dès qu'il en eu l'occasion, et il se pencha vers son visage tuméfié et sanguinolent. "Miracle ! Il respire encore, il vit !" songea-t-il. Il chargea le corps désormais bien amoché sur ses épaules, et tenta de reprendre la route, meme si désormais, toute tentative de survie semblait sévèrement compromise.
Otto suivit d'un pas décidé la lente avancée de Matthieu, sous l'oeil hésitant de ses soldats. Lorsqu'il arriva a sa hauteur, il lui asséna un formidable coup de pied dans le genou, et dit dans un français massacré par l'accent germanique "Les cafards dans ton genre, je les veux a ma botte", et, joignant le geste a la parole, lui écrasa la botte sur le visage. Il fut satisfait de voir le nez cassé saignant abondamment. Apres quoi, il ordonna a ses hommes de mettre le pied a terre, et de former un peloton d'execution. Non content de l'avoir vaincu, il voulait l'humilier en le faisant mourir comme un prisonnier, et non comme le soldat qu'il était.
Il n'eut plus qu'a remettre son âme et celle de son camarade au Seigneur.
" Feuer ! "
Un tonerre de coups de feu. Le silence.